RACONTE-MOI MA FAMILLE N°16 Vacances dans la baie de Somme
par Paul-Frantz le, 15/09/2021“Raconte-moi ma famille...” N° 16 - Récits de famille, racontés par nos anciens.
Par Paul-Frantz VIDAL (famille maternelle à Fouquières-lès-Lens)
"VACANCES DANS LA BAIE DE SOMME…"
Comme je l'ai dit plus haut, en vertu d'un droit d'aînesse aboli depuis longtemps, notre père ayant été amené à renoncer à sa part de la succession, il n'était plus vraiment chez lui. Il n'avait pas les mêmes relations avec sa mère que celles, plus étroites, qu'il avait toujours entretenues avec son père. Notre Mémé préférait Guilhaume, l'aîné, c'était évident et avait tout fait pour le favoriser. Je pense que l'on peut évaluer à une somme très élevée le bien tel qu'il était, et surtout ce qu'il est devenu par les mutations de classements des terres agricoles en terrains constructibles, obtenues par mon cousin lorsqu'il est devenu maire du village, en plus des revenus d'exploitation de nombreux hectares de forêt.
Heureusement, notre père ne s'en est pas rendu compte, au moins jusqu'au jour où son frère lui refusa tout net le bout de terrain, pourtant promis-juré, pour faire construire la maison de ses vieux jours. Pour nous, la seule consolation est d'imaginer que, en s'éloignant des bases pyrénéennes, nos parents ont été contraints de lutter plus pour l'avenir de leurs enfants. Auraient-ils fait les mêmes carrières, serions-nous devenus, mon frère et moi, ce que nous sommes devenus ? Ce n'est pas certain…
Jusqu'à la mort de notre grand-mère paternelle, en 1956, nous ne sommes venus qu'une ou deux fois, seulement dans notre village des Pyrénées. Mon frère Jean-Pierre refusait de venir, car il voulait être indépendant, et puis nous allions à Saint-Jean-de-Luz. On louait un petit appartement, et c'étaient de vraies vacances pour nos parents, plus de travaux des champs pour papa, plus de travaux ménagers pour maman.
Une année pourtant, cela devait être en 1953, nos parents qui avaient décidé de ne pas passer les vacances d'été dans les Pyrénées et n'avaient peut-être pas encore les moyens de nous offrir la Côte Basque, changèrent de destination pour nos vacances et nous ont envoyés, sous la conduite vigilante, mais oh combien indulgente, de notre mémé Marguerite du Pas de Calais, en vacances à la mer, dans la baie de Somme, à Saint-Valery-sur-Somme. C'était une petite station picarde, située en face du Crotoy, la perle de la baie de Somme.
Je crois que nous y sommes restés quinze jours, par un temps épouvantable, sous la pluie et les vents froids du nord. Cela nous changeait des climats du sud. Malgré cela, notre bonne mémé nous sortait tous les jours. Jean-Pierre, déjà grand, s'est alors beaucoup occupé de moi. Il fût adorable pendant tout le séjour. Il gérait mes jeux sur la plage, m'organisait des scénarios de guerre dans les restes des blockhaus, et il s'occupait aussi de notre mémé.
Elle a souvent raconté que pour qu'elle ne souffre pas trop du vent, en nous attendant sur ma plage, Jean-Pierre lui avait fait un petit abri dans le coin d'un socle de batterie en béton des défenses allemandes. Malgré ses efforts, le confort restait rudimentaire, et surtout elle souffrait du froid :
- Y m'avôt mis dans un trou d'canon. J'étôs ingélée d'frôt… Disait-elle
(Il m'avait mise dans un trou de canon. J'étais gelée de froid…)
Nous, pendant ce temps, nous reconstruisions la ligne Maginot sur les rives du pas de Calais.
Nous logions chez une brave dame, Mme PILLON, qui possédait une jolie villa en front de mer. C'était une de ces villas des années vingt, au soubassement de pierre mais entièrement construites en bois, avec une grande terrasse et des balcons à chaque fenêtre. Madame Pillon était gentille, mais elle passait son temps à nous épier, certaine que nous allions faire des bêtises.
Le jour du quatorze juillet, il a fallu à mon frère des trésors d'ingéniosité pour arriver à préparer la belle surprise qu'il avait voulu me faire. Avec l'aide de Mémé, qui avait financé l'affaire, il avait acheté moult pétards, feux de Bengale et fusées, chez le marchand de jouets de la plage. Par chance, Madame Pillon nous avait annoncé qu'elle passerait sa soirée chez son fils.
Comme nous serions tranquilles, il savait qu'il pourrait me faire mon petit quatorze juillet personnel. Pour donner à son spectacle un rythme digne des grandes manifestations pyrotechniques, il avait fixé tous ses explosifs à la balustrade et aux gardes corps de la terrasse. Lorsque tout fut prêt, juste à la tombée de la nuit, il nous installa Mémé et moi sur la terrasse, confortablement assis dans des chaises longues et enroulés dans des couvertures. Puis, muni de briquets ou d'allumettes, il entreprit sa besogne d'artificier. Quelle joie pour moi quand est partie la première fusée, puis les pétards, les lumières rouges aveuglantes des feux de Bengale, c'était une féérie, et rien que pour nous.
Jean-Pierre s'activait comme un diable qui chauffe les fourneaux de l'enfer. Dans la fumée qui nous enveloppait, pris par l'excitation du merveilleux spectacle, ravis de l'ingéniosité et de la compétence de mon grand frère, je n'ai pas remarqué, et lui non plus, que le feu d'artifice avait pris une allure de fixité peu courante dans ce genre de manifestation. Un endroit précis, ou tout à l'heure des feux de Bengale rouges avaient éclairés la façade de la maison, des lueurs jaunes éclairaient maintenant les fumées.
Il y avait des flammes sur le bord du balcon, et la balustrade de bois était gentiment en train de brûler. Mémé et moi avons compris aussitôt que les feux d'artifices avaient enflammés le bois des gardes corps. Mémé s'est précipitée, entourant la rambarde avec sa couverture, étouffant aussitôt le début d'incendie. Heureusement ce n'était qu'un peu de peinture et la surface du bois, qui avaient brûlés. Mémé était "aux cent coups", comme elle disait, mais à aucun moment ne s'est fâchée contre Jean-Pierre.
Nous n'avons rien dit à Mme Pillon, qui ne s'est rendu compte de rien. Pendant des années, Mémé a souvent raconté cet épisode de nos vacances picardes, et à chaque fois, la maison était un peu plus attaquée par les flammes. Le temps passant l'incendie prenait de l'ampleur, d'un petit feu de peinture on a fini par avoir presque brûlé la maison. Mais quel beau souvenir, que ces vacances avec mon frère qui n'avait eu d'autre souci que de s'occuper de moi.
A bientôt… ! Pour d'autres récits !