la Marmite du Diable (3)
par kiki le, 14/07/2007Relais Déc 1977 N° 99
Un conte de Charles Deulin
Et il enfila une des galeries, à la suite de quelques petits chariots.
La galerie débouchait sur une vaste plaine où s'élevaient encore d'énormes tas de pierres noires.
Près de là coulait un fleuve aux eaux jaunes et vertes, que traversaient de larges barques toutes chargées de ces pierres.
Jean grimpa sur un des tas pour voir plus loin et, de l'autre côté du fleuve. Il aperçut, à travers un épais nuage de fumée une immense chaudière, où il lui parut- spectacle épouvantable ! - qu'on mettait bouillir des hommes semblables à lui.
* Il va se faire arder ! il va se faire arder ! crièrent les nains, et ils le forcèrent à descendre.
Alors retentit un second coup de sifflet, qui se répèta de galerie en galerie. Tous les ouvriers jetèrent leurs outils, s'assirent en rond et chargèrent leurs pipes. Jean comprit que c'était l'heure du repos et fit tabac avec eux.
On apporta de grands brocs de bière écumante. Les noirs ouvriers en offrirent à leur hôte. Un vrai Flamand ne refuse jamais un verre de bière, fût-il offert par le diable en personne : Hullos accepta sans barguigner.
- A votre santé, nos maitres ! dit-il, et il vida son verre.
Il ne craignait qu'une chose, c'est que la bière n'eût un goût de brulé. Elle était, au contraire, fraîche et piquante, aussi bonne que la bière d'Escautpont.
Cela fit que Jean vida tant et tant de fois son verre qu'il but trop d'un coup et s'endormit.
Etait-ce l'effet du houblon ou de quelque autre cause ? le Cacheux eut un rêve bien extraordinaire.
Devant lui bouillait la grande marmite, et sur elle était penché un géant cornu ayant le mufle d'un bouc, les yeux d'un chat-huant et les ailes d'une immense chauve-souris.
Armè d'une longue cuiller, le géant ailé touillait la marmite, lorsque lui, Jean Hullos, s'approcha intrépidement et, avec le seau de sa forge, arrosa les pierres noires qui brûlaient au-dessous.
Elles s'éteignirent en fumant, mais le géant saisit un énorme soufflet et souffla le feu avec rage.
Puis l'infernal cuisinier et sa marmite s'effaçèrent peu à peu, et Jean ne vit plus que deux yeux qui brillaient dans l'ombre pareil aux fours d'une verrerie.
Alors, il ouït une voix qui disait :
* Pas encore ! pas encore ! On ne touche pas encore à la marmite !
Et il lui sembla qu'on l'enfermait dans un cercueil de plomb et qu'il s'y endormait d'un sommeil - également de plomb... pour toute l'éternité.
à suivre

