la Marmite du Diable (5)
par kiki le, 15/07/2007Relais Déc 1977 N° 99
Suite : Un conte de Charles Deulin
C’était un samedi, jour de marché ; il y avait beaucoup de paysannes des environs qui vendaient du beurre et des œufs, et qui buvaient de la blanche bière dans les cabarets.
Jean parut, la corde au cou et se traînant à peine. Jamais on n’avait vu un si vieil homme marcher au supplice, et les femmes ne pouvaient se tenir de le plaindre.
Quant à lui, il était résigné. Après tout ce qu’il avait souffert depuis le soir où sa fatale curiosité l’avait conduit au fond de la terre, il aimait autant mourir que vivre.
Pourtant, ce n’était point sans amertume qu’il envisageait son sort. Il tenait en ses mains un secret qui pouvait faire le bonheur du monde, et ce secret, il l’emportait avec lui !
Tout à coup, parmi la foule rangée sur son passage, il aperçut une jeune paysanne qui allaitait un enfant.
L’infortuné jeta un cri :
- Jeanne, ma chère Jeanne !
- Et, avant qu’on eût pu l’arrêter, il courut la prendre dans ses bras.
- Il couvrait de baisers la mère et l’enfant et ses larmes coulaient le long de sa barbe blanche. La mère et l’enfant ressemblaient si bien à sa femme et sa fille que Jean oubliait que toutes deux devaient être mortes depuis longtemps
- La jeune paysanne se sentait prise de pitié pour le vieillard et se laissait embrasser en pleurant elle-même.
- Te souviens-tu de Jean Hullos, Jean le Cacheux ? lui dit-il.
- Jean le Cacheux ? J’ai souvent ouï ma grand-mère prononcez ce nom, qui était celui de son grand-père.
- Une vieille femme de plus de quatre-vingts ans s’approcha alors.
- Si vous vous appelez Jean Hullos, autrement dit Jean le Cacheux, je suis votre petite-fille, et celle-ci est la fille de votre arrière petite-fille.
- Et la foule cria : Miracle ! car jamais on ne vit une si merveilleuse ressemblance que celle des deux vieillards.
- Jean pressa sa petite-fille sur son cœur.
- Tu es donc, disait-il, l’enfant de ma pauvre Jeannette, que j’ai laissée au sein de sa mère. Hélas ! où est-elle, ma jolie petite fille ?
- Elle est morte il y a vingt ans. Elle en avait quatre vingts.
Tout le monde pleurait en écoutant ces paroles.
- D’où vient que vous n’habitez plus Escautpont ? reprit Jean Hullos.
- Ma grand-mère m’a souvent conté qu’après que mon grand-père eut disparu, elle avait quitté son village pour aller s’établir à Aulnoy, de l’autre côté de Valenciennes.
- Au bûcher ! cria une voix, la voix du juge.
- Mais les femmes avaient pris parti pour le condamné et elles se prirent à parler toutes à la fois :
- Ce n’est mie un sorcier ! c’est Jean le Cacheux, le grand-père de Jeanneton, et on nous tuera plutôt que de le faire mourir !
- Ce vieux sait la place où sont enfouis les trésors, disaient les hommes de leur côté. Et ils le délivrèrent des mains de ses gardes.
à suivre

