LA PLUS BELLE ECOLE DU MONDE 4ième partie : La neige (Suite et FIN)
par berlens78 le, 23/02/2019Quand il y avait de la neige, certains faisaient des bonhommes avec la neige restée vierge sur les pelouses qui entouraient la cour ; d’autres se lançaient des boules. On essayait de faire des glissades aussi mais la cour était plate et il fallait prendre beaucoup d’élan.
Les jours de neige, il y avait une ambiance particulière ; la blancheur du paysage tapissait les fenêtres de la classe et tout semblait peint en noir et blanc comme à la télé.
Nous suivions des yeux la lente et indécise descente des flocons de neige, qui nous hypnotisait et nous enveloppait comme dans la ouate. La voix du maître nous parvenait comme lointaine, étouffée. La chaleur du poêle nous pénétrait et nous confinait dans une douce torpeur. Seul le tintement de la cloche pouvait nous réveiller.
Les jours de neige, tous les enfants sortaient des classes en courant et hurlant et les couloirs retentissaient du vacarme des grandes batailles. Il fallait se dépêcher de sortir pour arriver à la grille de l’école des filles avant qu’elles ne sortent. A la sortie de leur école, il y avait une espèce de passage en forte pente non couvert, bordé de deux murs en béton, qui débouchait sur la rue d’Hulluch (voir les 2 photos) ; et nous nous hâtions de prendre place sur ces hauteurs pour bombarder de boules de neige les malheureuses victimes qui seraient obligées d’emprunter ce passage étroit en sortant.
On arrivait en avance pour faire des « munitions », préparer le maximum de boules de neige pour n’avoir plus qu’à les lancer au plus chaud de l’attaque sans perdre de temps à les préparer.
Et quand elles sortaient, c’était la débandade. Certaines tentaient de passer en courant et malheur à celles qui glissaient, tombaient et se retrouvaient la cible d’un déluge de boules. C’était peut-être cruel mais nous n’en avions pas conscience. On attaquait les filles parce qu’on était des garçons, c’était comme çà ; on n’avait rien contre elles finalement, c’était juste de l’ignorance, parce que la société refusait la mixité et dressait des barrières d’interdits et de suspicion entre nous.
J’aurai pu jouer les héros et voler à leur secours, tel Lancelot enlevant Guenièvre des flammes du bûcher mais mes camarades n’avaient pas tous l’étoffe des preux chevaliers de la Table Ronde et je serai passé pour un traitre à la cause, rejeté par ma bande et banni pour l’éternité.
Parfois, la directrice venait s’en plaindre auprès du directeur et nous avions droit à un « sermon ». Débouchant sur une trêve. Mais le cessez-le feu ne durait jamais très longtemps. Alors le maître nous gardait plus longtemps dans la classe après la cloche, feignant de ne pas s’apercevoir de notre frustration…
Le dernier jour avant les vacances de Noël, se produisait un évènement extraordinaire : des gens qui n’étaient ni des instituteurs, ni le directeur ou l’inspecteur, venaient frapper à la porte de la classe ; le maitre allait ouvrir et des personnes en tenue de travail entraient dans la classe avec des caisses de brioches et d’oranges. Et les distribuaient à chacun d’entre nous.
C’était comme une récréation. On regardait avec bonheur cette grosse brioche tiède et cette orange toute froide qui annonçaient les fêtes de Noël, les guirlandes et les lumières, les cadeaux, les boules du sapin …
On ne les mangeait pas tout de suite pour les rapporter à la maison et les montrer à nos parents. Quoique parfois, en cours de route, une tête de la brioche disparaissait. Elles étaient nos madeleines de Proust à nous ; et rien que d’y penser aujourd’hui, j’en savoure encore le léger goût sucré et moelleux sur la langue.
L’automne et ses feuilles de marronniers aux reflets cuivrés, l’hiver, la neige, le printemps … Les saisons passaient par-dessus nos jeux et nos rêves d’enfants, nos jeunes années d’écoliers. Nous avions l’insouciance des moineaux qui vivent au jour le jour ; nous avions le bonheur d’aller dans la plus belle école du monde. La fabuleuse école Pasteur.


