CHANTEURS ET CHANSONS D AVANT
par berlens78 le, 19/11/2020De la musique à la maison, lorsque j’étais enfant, il y en avait quand même souvent ; entre le tourne disque et le transistor qui allait du matin au soir, il y avait de l’ambiance.
Au début on n’avait qu’un poste à lampes ; un Ducretet-Thomson, de la même marque que vendait Madame Chalmin au coin de la rue (photo 1) dont c’était l’enseigne. I fallait l’allumer, au sens propre, (enfin pas non plus avec des allumettes) et attendre que le cadran avec l’aiguille s’éclaire ; puis chercher dans toutes les ondes, les longues, les courtes, les moyennes, avec le gros bouton. On pouvait ainsi écouter Andorre, Milan, Budapest, et surtout Hilversum, nom mystérieux entre tous, d’une station qui devait se trouver probablement au fin fond du pôle nord … Je ne me souviens plus pour l’antenne. On entendait « baragouiner » dans toutes les langues, même du russe et du polonais. Une fois à peu près calé sur la station, ça crachotait, ça sifflait, le son s’éloignait puis revenait ; on avait l’impression d’entendre des voix de l’au-delà, des gens qui nous parlaient d’un autre monde … Mais le plus souvent, on se contentait de mettre l’aiguille sur Luxembourg ; je me rappelle vaguement de Maurice Chevalier, de Zappy Max (photo 2) dont on écoutait l’émission « quitte ou double » puis un feuilleton qui tenait mes parents en haleine, au point qu’il fallait à chaque fois faire silence, « la famille Duraton » me semble-t-il… Le soir, avant d’aller se coucher, ma mère recouvrait religieusement le poste avec un napperon en dentelle, peut-être pour qu’il ne prenne pas froid pendant la nuit, lorsque la cuisinière à charbon fonctionnait au ralenti …
Plus tard il y a eu le transistor ; plus petit, plus pratique, plus moderne ; lui pouvait fonctionner avec des piles et on pouvait le prendre sous son bras pour aller l’écouter dans son lit par exemple, enfin, en théorie seulement parce qu’il était à tout le monde et qu’il n’était bien sûr pas question de le garder pour soi tout seul ! …On pouvait écouter Europe1, Luxembourg, Monte Carlo (« Dis, t’as vu Monte Carlo ? » « Non, j’ai vu monter personne … ») ; et aussi radio Caroline le soir, en cherchant bien avec l’oreille collée dessus … Une radio pirate ! Des vrais pirates avec le drapeau noir à tête de mort ? Ouahh ! La légende du Hollandais volant … ! Parait-il qu’ils étaient sur un bateau dans la mer du Nord et qu’ils n’avaient pas le droit de revenir à terre sous peine de se faire tous arrêter ! … Et qu’ils étaient ravitaillés comme ça, en pleine mer … (photo 3) Radio « Carolaïïïne » ! rien qu’à entendre l’indicatif, on était en transes ! … Les « scarabées », les « pierres qui roulent », « Eugène Vincent », les « chats d’ose », … il y avait du rock and roll non stop ! On n’entendait plus que des guitares électriques et des cris d’ hystériques …
Au début, il n’y avait qu’un seul transistor à la maison et sa place était dans la cuisine, sur l’armoire à vaisselle. Le matin il n’était pas allumé, lorsqu’on partait à l’école. Mais je me souviens que le soir, mes frères écoutaient « Salut les copains » avec toutes les idoles des jeunes. Le dimanche matin, c’étaient les prévisions du temps qu’il allait faire avec Albert Simon, puis les pronostics du tiercé de Maurice Bernardé ; ma mère écoutait ça religieusement et il fallait se taire pendant qu’elle écrivait les numéros (soit-disant gagnants …) sur son journal. Après, on pouvait entendre Sheila (« l’école est finie »), Claude François (« si j’avais un marteau »), Richard Anthony (« et j’entends siffler le train »)... tout ça. Le matin c’était assez calme ; ça s’animait après 17h et surtout le soir lorsque les grands mettaient Radio Caroline pour écouter des « zazous » qui chantaient en anglais.
Moi je n’étais pas encore assez grand pour avoir des goûts prononcés ; alors j’écoutais tout ce qui passait ; la musique c’était gai, c’était bien, on avait l’impression d’être dimanche tous les jours. Surtout le samedi soir, qu’il restait encore de la buée plein la cuisine après les bains dans la bassine d’eau chaude, que les grands se préparaient avant de sortir au bal : le transistor marchait à tout casser, ça empestait l’eau de cologne et la brillantine (ou le Pento), et ils s’essayaient à faire leurs noeuds de cravate avant de chercher les boutons de manchette assortis et de cirer leurs souliers vernis … « Y’avait d’ la joie », qu’il aurait pu chanter Charles Trenet s’il était entré à ce moment-là dans la cuisine …
Une fois qu’ils étaient partis, on pouvait dire ouf. Le calme était revenu ; et après le souper, on jouait avec ma mère aux bidets en écoutant ses 78 tours sur le tourne-disques : Berthe Sylva (« frou-frou », « les roses blanches »), Georgette Plana (« on n’a pas tous les jours 20 ans »), Gloria Lasso «(« l’étranger au paradis »), Rina Ketty (« J’attendrai »), edith Piaf (« Milord »,…), … Mais pas Juliette Greco « une garce » ni Brigitte Bardot « une dépravée », encore moins Marlène Dietrich « une boche » ou Maryline qui n’avait pas encore traversé l’atlantique …
Ma mère écoutait ses disques quand elle avait la paix, dans l’après-midi, lorsqu’elle avait fini la lessive et son ménage, que mon père était au travail et les grands au lycée ; elle mettait son disque sur le Teppaz posé sur la chaise à côté du buffet de la cuisine, et s’asseyait au coin du feu avec une tasse de café, souvent avec sa mère, pour écouter ses chansons tranquillement. Mais le soir, lorsque les grands rentraient de l’ école, c’était une toute autre musique : les « chaussettes noires », les « chats sauvages », Johnny « viens danser le twist » , Elvis, les Beach Boys … Quelle ambiance ! Parfois ils voulaient faire danser à ma mère le twist, le djerk, mais il n’y avait pas moyen ; pour elle c’était de la musique de dégénérés, de sauvages ; ces danses là c’était la décadence, la fin du monde ; elle ne savait danser que la valse et encore …
Mémère, elle, n’ écoutait pas de musique ; même pas à la radio ; elle préférait le calme, le silence, entendre ses mouches voler. Quand on voulait lui faire écouter une chanson qui passait à la radio, elle se reculait en mettant sa main devant elle, comme si on lui aurait présenté le diable … Comme musique, elle ne connaissait certainement que la sonnerie aux morts que la fanfare jouait devant le monument aux morts le 11 novembre , et des chants d’église comme « plus près de toi mon Dieu .. »…
Ah mais si ! elle aimait l’opérette ! Jé ne sais pas d’où c’était venu parce qu’elle n’ était jamais allée en voir, qu’il n’y avait pas de théâtre et encore moins d’ opéra dans son village… Peut-être au cinéma … Dans l’opérette, celui qu’elle préférait était sans conteste Luis Mariano ; et je crois bien qu’on était allés voir au cinéma un film dans lequel il jouait, sans doute "Violettes impériales" ou alors "le chanteur de Mexico" ... Aller voir un film avec Louis Mariano au cinéma, c’était vraimint pour lui faire plaisir à mémère, parce que sinon elle n’y serait jamais allée tout seule ... Mais alors, quelle punition !!..
Il y a eu aussi Dario Moreno , Georges Guétary, André Dassary, … et Joselito, « le rossignol des montagnes »... !!! JOSELITO … (photo 4) Mémère en raffolait et elle me suppliait d’aller voir ses films avec elle au Familia rue Jules Guesde. Quelle barbe ! Moi il me transperçait les oreilles ; et aussi quelle manie de chanter à tue-tête comme ça partout dans les rues ! … Un jour, je lui avais dit « oui » à mémère mais j’avais regardé auparavant sur le journal le programme des cinémas à Bruay et Joselito n’y’ était pas au programme, contrairement à ce qui avait été annoncé le dimanche précédent. C’était remplacé par « les derniers jours de Pompéï » … mais mémère n’était pas au courant. Une fois les billets achetés et arrivés dans la salle, elle s’est assise toute contente à côté de moi, me tenant par le bras, et me chuchotant à l’ oreille « tu vas voir, ça va être beau ! »… Mais, dès les premières images sur l’écran, que les acteurs étaient habillés en romains avec des boucliers et des armures, mémère a eu comme un doute : Joselito c’était plutôt un chanteur pour les vieux d’accord, mais ce n’était quand même pas un chanteur de l’ antiquité ! … Quand elle a compris qu’elle s’était trompé de film, elle voulait s’en aller, tant pis si on avait payé nos places ; mais moi je ne voulais pas partir ; ça me plaisait ce film là ! Mais elle, elle n’aimait pas les batailles, voir du sang, des épées tout ça et elle n’arrêtait pas de me tirer le bras pour quitter la salle …
Ma mère devait sûrement en avoir aussi des 45 tours de ces chanteurs là, et elle devait en passer un de temps en temps pour mémère sur le toune disque, l’après-midi lorsqu’on était à l’école.
Mon père, lui, c’était Tino ROSSI ; presque exclusivement ; il connaissait toutes ses chansons par cœur , et il les chantait même lors des festins de mariages et de communions... Il ressemblait d’ailleurs un peu à Tino Rossi (nous on disait « Tino Rosbeef » pour le faire enrager !), avec ses yeux bleu-gris et ses cheveux plaqués avec de la brillantine … Il y avait aussi les compagnons de la chanson, qui faisaient l’unanimité, surtout quand ils chantaient « toutes les cloches sonnent, sonnent… » avec Edith Piaf.
Et moi alors, qu’est-ce que j’aimais ? Françoise Hardy, Petula Clark, Richard Anthony, Adamo, Franck Alamo … Je n’étais pas encore trop fixé. On n’en était qu’au début ; ça allait être un raz- de-marée radiophonique ; et de la musique, on allait en être abreuvés jusqu’à plus soif !
Avant que ça ne soit remplacé par des réclames puis de la publicité, des informations et maintenant par des « nouvelles qui sont mauvaises, d’où qu’elles viennent » …
(pour les photos, voir la version en patois "CANTEUX D'AVANT"

