RACONTE-MOI MA FAMILLE N°4 Le conscrit
par Paul-Frantz le, 03/08/2021“Raconte-moi ma famille...” N° 04 - Récits de famille, racontés par nos anciens.
Par Paul-Frantz VIDAL (famille maternelle à Fouquières-lès-Lens)
"LE CONSCRIT… " :
Les années ont passé… Dartagnan mineur est devenu un solide gaillard, engagé volontaire à 18 ans il était allé passer la visite médicale d'incorporation à Lens. Son ami d'enfance François DELACROIX doit s'y rendre à son tour pour ce que l'on nommait, le Conseil de Révision, et, bien sûr, il demande à son mentor de toujours de lui dire ce qu'il doit faire. Dartagnan n'a pas perdu son tempérament facétieux.
De son nom DELACROIX François Jean-Baptiste Auguste, il est né la même année que Dartagnan, plus jeune de quelques mois.
François, doit se rendre à la visite médicale que tous les garçons doivent passer pour juger de leur aptitude au service de l'armée. Bien sûr, il n'a jamais quitté son village et, se rendre à Lens, chef lieux d'arrondissement militaire, pour répondre à sa convocation, allait être une forme d'expédition qu'il redoutait.
François n'avait jamais pris le train, ce serait là aussi une première, mais pour lui se posait le délicat problème de l'achat du billet à la gare. Il lui faudrait ne pas parler patois pour se faire comprendre. Confiant dans son expérience déjà grande de ce type de voyages, il consulta donc son ami Dartagnan sur la manière d'obtenir son billet. Dartagnan lui indiqua la marche à suivre :
- Té verra, ché simple, quand teu s'ra arrivé al gar', té va ach'guichet, et teu dis seulemin : Delacroix François pour Lens…
(Tu verras, c'est simple, quand tu seras arrivé à la gare, tu vas au guichet et tu dis seulement : "Delacroix François pour Lens")
- Delacrrroix, Frrrançois, pourrr Lens… ? Répète François, un peu dubitatif, avec sa grosse voix toujours aussi pâteuse, et aux "r" qui ressemblaient de plus en plus à des roulements de tambour.
- Ouais min tiot, té prin tin ticket et teu l'paye… Vla tout…
(Ouais mon p'tit gars, tu prends ton ticket et tu le payes… Voilà tout)
Et voilà notre François parti à pied jusqu'à la gare de Billy-Montigny, afin d'acheter son billet pour Lens. Il se présente aussitôt au guichet, et lâche d'une seule traite, et de sa diction humide et pâteuse :
- DelacrrroixfrrrançoispourrrLens… !
Le préposé relève la tête, le regarde :
- Quoi… ?
- DelacrrroixfrrrançoispourrrLens… !
Répète imperturbable, et un peu plus fort, notre candidat au voyage.
- Mais, mais, qu'est-ce que vous voulez, vous… ?
- DelacrrroixfrrrançoispourrrLens… !
Le dialogue a dû se prolonger tant que François s'évertuait à répéter ses borborygmes incompréhensibles au zélé fonctionnaire. Le zèle ayant aussi ses limites, le cheminot l'envoya promener, et quitta son poste derrière sa petite fenêtre. François, dépité, ne comprit pas pourquoi il ne pouvait obtenir son titre de transport. Découragé, il reprit, la tête basse et le cœur lourd, la route de Fouquières-les-Lens. Il fut toutefois exempté de service, parce que l'aîné d'une famille de dix enfants.
NDR : La lecture du livret de François DELACROIX, dans les archives militaires, m'a appris que celui-ci avait très mal tourné. Après plusieurs condamnations pour vol, et quelques séjours en prison, il fut condamné au bagne pour viol aggravé. Il n'est pas impossible de penser que les perpétuelles brimades, infligées à cet esprit simple, l'ont conduit à vouloir obtenir de manière illégale ce que la vie lui refusait toujours.
A bientôt… ! Pour d'autres récits !

